L'Autoroute de la pluie

Initiative de réappropriation climatique

Déployer la pompe biotique

🌿🌦️ Comment mettre en œuvre la pompe biotique à l’échelle territoriale pour augmenter la pluviométrie de votre région ?🌳🌧️

Dans la leçon inaugurale de Nathalie De Noblet à l’Ecole supérieure des agricultures, la bioclimatologiste décrypte les rétroactions entre occupation des sols et climat. La chercheuse française montre comment ensemencer la pluie grâce à la végétation, afin qu’elle précipite plus loin et génère un système vertueux.

Elle cite un exemple documenté en Californie. L’objectif était de reverdir une colline en plantant des arbres irrigués dans une vallée. Les vents dominants allant de la vallée vers la colline, l’évapotranspiration accrue de ces nouveaux arbres s’est alors dirigée vers la colline avant de s’y condenser et de précipiter. Cela a permis à la végétation de croître sur la colline. Une partie de cette pluie supplémentaire a ruisselé vers la vallée, diminuant ainsi l’irrigation.

Les conditions pour utiliser cette approche de manière méthodique sont :

☁️ la première zone végétalisée est située à côté de flux d’humidité conséquents

🌬️ la seconde zone, où l’on souhaite améliorer les flux d’humidité, doit se trouver sous le vent de la première

🌧️ ainsi, les vents dominants se chargent d’humidité dans la première zone et les précipitations augmentent dans la seconde

Nathalie De Noblet, co-auteure du rapport sur l’état des sols du GIEC de 2019, insiste sur le caractère non local de cette action. Un projet déployé dans un lieu donné bénéficie à un territoire plus vaste. Notre projet s’inscrit dans la même démarche : mailler les territoires d’autoroutes de la pluie. L’aménagement du territoire pensé de manière systémique permet d’en améliorer la résilience à plusieurs échelles.

Ces considérations font écho à l’approche décrite dans notre post sur l’amélioration ciblée des précipitations (“targeted rainfall enhancement”, TRE), qui devrait guider la réflexion de tous projets de reforestation, et plus généralement de toute évolution sensible de l’usage des sols.

On le voit, il n’est pas nécessaire de disposer d’un potentiel d’évapotranspiration tel que celui de l’Amazonie pour impacter positivement le climat. Déployer ce type de démarche permettrait d’atténuer la tendance à la désertification du pourtour méditerannéen,. A condition de miser sur des solutions fondées sur la nature plutôt que sur le techno-solutionnisme (voir notre post sur les services rendus par les zones humides littorales et leur coût comparé à celui du dessalement de l’eau de mer).

Le passage sur l’augmentation localisée et volontaire de la pluviométrie est accessible à la 45ème minute de la conférence de Nathalie De Noblet.

Les images illustrant ce post et la vidéo proviennent de l’étude “Induced precipitation recycling (IPR): A proposed concept for increasing precipitation through natural vegetation feedback mechanisms “, publiée en 2016. Cette étude aborde le rôle potentiel des forêts et du couvert végétal comme outil d’adaptation.

Les zones humides littorales, un enjeu pour l’eau, la biodiversité et le climat

Au cours du dernier siècle, le niveau moyen de la mer 🌊 a déjà augmenté de 20 cm. En 2050, ce sera au moins 15 cm de plus (scénario intermédiaire du GIEC à +2°).

Par ailleurs, il n’aura échappé à personne que le régime hydrologique 🚿 habituel, en grande partie basé sur des stocks montagne (neige ❄️, glace 🧊), se dérégule et s’effondre. 

Dans ce contexte, plusieurs facteurs favorisent les précipitations : 

🌡️ L’élimination des points chauds 

🟩  La continuité végétale 

🟦 L’aménagement des cours d’eau

🏖️ L’aménagement des côtes

Les zones humides littorales (voir l’étude Revue géographique des pays méditerranéens n° 215 de 2015 : Dynamiques des zones humides littorales et enjeux de gestion en Méditerranée et un Guide de l’Observatoire du littoral) constituent donc un enjeux essentiel, car elles sont un tampon entre la terre et la mer. Elles agissent comme une protection 🚧 contre l’entrée de l’eau salée dans les terres mais également comme récupérateur du ruissellement des plaines côtières. Ce sont également des zones de production économiques importantes pour des activités traditionnelles (pisciculture 🐟 🦐, marais salant 🧂, pré salés 🐑, conchyliculture 🦪, production d’algues et de salicorne 🥗), auxquelles s’ajoutent désormais la production d’énergie ⚡ et d’eau douce 🍸. Enfin, ce sont également des espaces privilégiés pour la biodiversité, et en particulier les espèces migratrices qui y trouvent des aires de passage.

En Europe, les formes les plus courantes sont l’étang, le marais et le pré salé. En zone tropicale, on trouve également les mangroves (voir le Guide pratique de production et de plantation des espèces de mangrove au Bénin et se l’ouvrage Mangrove ; une forêt dans la mer, 2018) dans lesquelles poussent des palétuviers.

Les palétuviers (ce nom vernaculaire désigne près de 25 arbres différents) sont des plantes halophytes et hydrophiles. Cela veut dire qu’ils supportent le sel et l’immersion. A ce titre, ils n’ont pas d’équivalent en zone tempérée, où les quelques arbustes halophytes (comme le tamaris) sont plutôt des plantes frustres. Outre le fait qu’une forêt de palétuviers est un obstacle aux fureurs de l’océan, un hectare de ces arbres transpire jusqu’à 30m3 d’eau par jour, ce qui est plus qu’une forêt de feuillus.

Ainsi, la zone humide littorale devient un moyen de dessaler l’eau de mer pour l’injecter dans l’atmosphère à proximité des côtes. Certains ont même envisagé de  la récupérer sous forme liquide. A titre de comparaison, l’usine de dessalement d’El Prat del Llobregat près de Barcelone, qui fournit 60000 m3 d’eau par ans pour seulement 180 MWh, a couté, en 2007, 230 M d’euros.

Pour toutes ces raisons, nous estimons que la recherche sur les plantes halophytes et le réaménagement des littoraux devrait être une priorité.

L’image d’illustration est « Ilôt de palétuviers au Philippines après le passage du typhon RaI en 2021 » (wikimédia)

Techniques de plantation

Il y a 4 façons d’avoir des arbres

1 – planter 

Pour faire pousser des arbres, on pense d’abord à les planter. Pourtant sauf si on souhaite avoir une production précoce et standardisée, ce geste coûteux n’est pas toujours optimal.

On dit souvent que, dans un projet de plantation, il faut mettre l’argent dans la plantation plutôt que dans les arbres. La plantation nécessite un travail important :

🚜 Décompacter le sol pour que l’arbre s’ancre profondément et trouve des ressources en eau

🌿 Pailler pour limiter la concurrence des graminées durant les premières années

🍂 Amender pour stimuler la croissance 

💦 Arroser à la plantation et durant les premiers étés

🌬️ Tutorer pour éviter les cassures au point de greffe 

🦌 Protéger des brouteurs de bourgeons apicaux

Finalement :

 👉 planter demande du temps et de l’argent 

 👉 ça permet d’avoir les arbres que l’on souhaite, notamment pour la productions

2 – la RNA

Plutôt que planter, on peut laisser pousser. C’est ce que l’on appelle la Régénération Naturelle Assistée. On profite de la succession végétale pour que des arbres poussent.


Dans le ce cadre pour avoir des arbres il suffit de : 

🚧 protéger l’espace qu’on veut boiser des brouteurs et de l’épareuse

🔎 choisir les arbres qu’on souhaite laisser pousser 

La RNA : 

👉  un processus naturel qui permet d’avoir un peuplement endogène et adapté

👉  on ne choisit pas les arbres. On prend ce qui pousse

3 – le semi

Autre alternative à la plantation, le semi permet de choisir son peuplement en ayant une qualité d’enracinement similaire à la végétation spontanée. 

Mais les plantes ligneuses sont difficiles à semer car leurs graines ont des mécanismes de dormance difficiles à lever. Souvent il faut qu’elles passent par un épisode de gel ou le tube digestif d’un animal. Pour simuler ces phénomènes on utilise diverses techniques de stratification. 

👉 semer des arbres permet une grande diversité génétique 

👉 mais mis à part sur quelques variétés forestières, la réussite du semi reste aléatoire

4 – la bouture en place

D’après Francis Hallé, l’avantage de la plante sur l’animal c’est que si on la coupe en deux, on a deux plantes alors qu’un animal coupé en deux a un destin bien moins enviable. Le bouturage de branches ou de racine en place ne fonctionne pas avec toutes les espèces, mais sa simplicité en fait un candidat de choix pour une végétalisation rapide.

La bouture à grande profondeur permet de gérer la concurrence avec la strate herbacée et d’aller chercher l’eau.

👉 la bouture permet de multiplier les arbres en grandes quantités 

👉 elle ne fonctionne pas avec toutes les espèces

Nous suivons actuellement avec beaucoup d’intérêt des essais de bouturage en place au Karcher. Ils permettent d’atteindre une profondeur de plusieurs mètres très facilement et d’utiliser le matériel végétal issu de l’élagage. Au delà des classiques saules et peupliers, des essais sont en cours sur le platane, le tilleul, le mûrier blanc, l’olivier, le noyer et le châtaignier.

Cette vidéo illustre ce procédé:
https://www.youtube.com/shorts/rflXkhOg9NU?si=HEpLP8m5aQ8zGKlL

L’impact climatique des coupes rases

🌳🌧️ Les coupes rases ont-elles un impact direct sur notre climat ? 🪓☀️

En France, la pratique des coupes rases en sylviculture suscite la polémique, à mesure qu’on comprend l’importance de l’arbre et du sol, grâce notamment à des associations comme @Canopee.

Une vaste étude parue en juin 2023 Expertise collective CRREF “ Coupes Rases et REnouvellement des peuplements Forestiers en contexte de changement climatique ” synthétise les connaissances sur ces pratiques. Le chapitre “Effets sur le milieu physique” évalue les impacts climatiques des coupes rases. Avant d’examiner ceux-ci, voici une liste (non-exhaustive) des conséquences des coupes rases :

➡️Les propriétés hydrodynamiques du sol sont perturbées

➡️ Avec la diminution de l’évapotranspiration, la teneur en eau du sol augmente (10 à 66 % en moyenne sur une épaisseur de sol allant de 25 à 50 cm) 

➡️ Le niveau de la nappe phréatique peut remonter sensiblement

➡️ Le ruissellement et l’érosion augmentent de 47% et 700% (d’après l’analyse de 155 bassins versants)

➡️ La fertilité des sols est très perturbée, notamment suite à une “rupture abrupte du cycle biologique et des modifications du pédoclimat”

➡️ Le stock de carbone dans les sols diminue

➡️ La biodiversité est très perturbée

En matière de climat, les coupes rases augmentent le rayonnement solaire diurne, les pertes radiatives nocturnes “ce qui accroît les amplitudes quotidiennes et saisonnières des températures de l’air proche du sol, et du sol en surface.” Selon la taille de la surface concernée, l’impact varie (surtout pour les coupes supérieures à 0,25 ha). 

Les impacts climatiques sont importants : “le microclimat sur les berges d’une rivière proche d’une coupe rase est modifié pendant plusieurs années, même si la lisière nouvellement créée se situe à plusieurs dizaines de mètres du cours d’eau. […] Lorsque la taille d’une trouée est supérieure à deux à trois fois la hauteur de l’arbre, les risques de chablis lors des tempêtes augmentent considérablement, d’un facteur 3 environ.” (voir notamment le post  » Quel est l’impact des forêts d’Europe occidentale sur la formation de la couverture nuageuse ?« 

“Les coupes rases de très grandes tailles (> 10 000 ha) (des coupes sanitaires après des tempêtes extrêmes dans le contexte français) peuvent modifier également le climat régional du fait d’une modification brutale d’indice foliaire, d’albédo et de rugosité, dont la combinaison peut induire une augmentation ou une baisse d’ennuagement et de précipitations selon la disponibilité en eau.” 

Les études sur l’Amazonie documentent ces impacts aux échelles régionales et mondiales. Si, en France, il n’y a pas de coupes rases de cette taille sans raison sanitaire, la multiplication de coupes rases de taille moyenne a forcément un effet délétère et immédiat sur notre climat.

Il est donc critique que ces pratiques soient proscrites. Et l’arbre agricole permettrait de compléter la production sylvicole et de protéger un climat bien fragile en France. 

La végétalisation provoque l’effet inverse de celui des coupes rases, il est temps de s’y mettre !

Sauver les forêts de Méditerranée

Les calculs de Jean Pain sauveraient-ils la forêt méditerranéenne ?

Aujourd’hui, lorsqu’on parle d’un  “Jean Pain”, on désigne un compost utilisé pour chauffer de l’eau, une serre ou une table de semi.

Jean Pain est un forestier du sud de la France né en 1928. Il est connu pour sa promotion du compost de broussaille. Ses techniques, recueillies par son épouse dans un ouvrage à compte d’auteur, ont connu un écho important dans les années 1970 car elles résonnaient avec la prise de conscience de la dépendance aux énergies fossiles.

Dans cet ouvrage, il détaille de nombreuses techniques pour produire de l’énergie et de la fertilité à partir des broussailles et ainsi faire de la nécessaire prévention des incendies un levier pour la restauration de la forêt méditerranéenne. 

Comment cela fonctionne ?

La forêt est découpée en parcelles de 320 hectares qui sont nettoyées 3 fois en 24 ans.

Le nettoyage consiste à couper la végétation sous-arbustive, élaguer les basses branches, recéper et éclaircir pour éviter la propagation du feu.

Le chantier progresse de 40 hectares non concomitant tous les ans. 

Ainsi la biodiversité qui s’est réfugiée dans les parcelles adjacentes sera laissée tranquille l’année suivante.

La valorisation de 10 kg de broussaille par les methodes Jean Pain est la suivante : 

  • 8.5 kg de compost
  • 2 m3 de biogaz
  • de l’énergie thermique qui peut-être utilisée pour chauffer de l’eau, des serres ou produire de l’électricité

La technique de méthanisation de Jean Pain est beaucoup plus partielle que celle qui se pratique aujourd’hui. Elle évite également l’écueil d’une phase aqueuse qui est souvent problématique. Ainsi, son compost de broussaille est très différent du digestat sorti des méthaniseurs modernes. Toutefois, en considérant comme Jean Pain qu’une parcelle de 320 hectares produit 1600 tonnes de broussailles tous les ans, la vente de l’énergie produite permettrait probablement aux forestiers d’en vivre.

La moitié, voire la totalité du compost, est utilisée pour créer du sol humifère et restaurer les forêts, l’énergie est utilisée pour rentabiliser le projet. Ainsi l’entretien des forêts n’est plus une charge.

Quand on sait que la région méditerranéenne est un des espaces les plus menacés par la désertification (voir notre post sur les travaux de Millàn Millàn), la mise en œuvre d’un vaste projet de régénération de ses forêts apparaît comme une évidence. Il est critique de préserver et renforcer toutes les forêts côtières et leurs fonctions hydrologiques.

Le projet de l’autoroute de la pluie, en entendant développer l’agroforesterie pour substituer notamment une partie des prélèvements en bois forestiers par du bois agricole, est donc complémentaire de la régénération des forêts méditerranéennes. 

L’illustration provient du formidable outil de @l’IGN “Remonter le temps”, et porte sur l’urbanisation côtière au sud du Massif des Maures.

Sans oiseaux, les plantes vont-elles continuer à pousser ?

Il y a quelque temps, le biologiste Ernst Zürcher (Forêts aux éditions La Relève et la Peste, 2022) interrogeait le fait que certains arboriculteurs utilisent la diffusion de chants d’oiseaux pour stimuler la croissance des arbres. Cet engrais acoustique, comme il le nomme, provient de l’effet de certaines fréquences sur l’ouverture des stomates (l’organe qui permet les échanges gazeux). Ce phénomène, lié au calcium, est décrit dans une étude de l’université de San Diego parue dans science en 2000 (Alteration of Stimulus-Specific Guard Cell Calcium Oscillations and Stomatal Closing in Arabidopsis det3 Mutant) [1].

Il est aussi établi que la musique (classique) a un effet positif sur la germination des graines de laitues. Aujourd’hui, une étude australienne montre qu’on peut multiplier par cinq le rythme de croissance des champignons mycorhiziens en les soumettant en permanence à un son de 8khz et 80 db. Or la bibliographie abonde pour mettre en évidence le rôle fondamental des mycorhizes sur la croissance et la santé des plantes 

Que faut-il en conclure ?

Vous trouverez beaucoup de références à ces études, toujours présentées positivement, comme un émerveillement sur la grandeur du vivant, par des articles qui ont l’ambition de donner envie aux lecteurs d’aimer la nature, de la protéger, de la comprendre, voire d’appréhender son aspect vibratoire.

Mais plus prosaïquement, on pourrait se dire que la chute des populations d’oiseaux et les impacts de la pollutions sonores anthropiques qui les contraint à modifier leurs chants (hifting song frequencies in response to anthropogenic noise: a meta-analysis on birds and anurans), le bouleversement de l’espace sonore, a des conséquences sur le monde végétal qu’il est difficile d’estimer.  On a souvent entendu que, sans abeilles, l’humanité mourrait de faim. Se pourrait-il que sans oiseaux, elle meurt de chaud ?

Le projet de l’autoroute de la pluie et ses 40 arbres par hectare, c’est aussi des perchoirs, des endroits pour nicher, un pied dans la porte pour redonner sa chance au vivant.

L‘image provient de Wikipedia.

La pluie ne connait pas les frontières politiques

🌧️🇨🇳 La pluie en Chine dépend-elle de la façade Atlantique française ? 🇫🇷🌳


Les écosystèmes sont interdépendants. La pluie n’a que faire de nos frontières politiques.

Ainsi, l’étude “Origin and fate of atmospheric moisture”, de Rudi J. van der Ent et al., parue en 2010, examine les dynamiques de l’humidité atmosphérique afin de comprendre dans quelle mesure les précipitations continentales dépendent du recyclage de l’humidité.

Ainsi, “l’humidité qui s’évapore du continent eurasien est responsable de 80 % des ressources en eau de la Chine. En Amérique du Sud, le bassin du Río de la Plata dépend de l’évaporation de la forêt amazonienne pour 70 % de ses ressources en eau. La principale source de précipitations dans le bassin du Congo est l’humidité évaporée sur l’Afrique de l’Est, en particulier dans la région des Grands Lacs. Le bassin du Congo, à son tour, constitue une source majeure d’humidité pour les précipitations au Sahel.

On le voit, les interdépendances sont multiples à l’échelle globale et le cycle de l’eau dépend étroitement du recyclage des précipitations continentales. Compte-tenu de l’importance de la végétation dans le processus de recyclage des précipitations, on comprend aisément que les projets de boisement et de restauration écologique dans une région donnée vont impacter directement la pluviométrie de zones plus ou moins proches. Et a contrario, modifier massivement l’usage du sol (c-a-d raser des forêts, retourner des prairies permanentes ou drainer des zones humides) aura des impacts critiques dans des zones situées sous le vent.

La carte illustrant ce post, issue de l’étude, démontre ce caractère critique pour une grande partie de l’Amérique du Sud, mais surtout pour l’est de l’Eurasie. Ainsi, la Mongolie, pays fortement enclavé, dépend presque entièrement du recyclage des précipitations.

Peut-être serait-il temps que les États se saisissent de ce sujet de manière transnationale. Plusieurs grandes agences de l’ONU sont déjà sensibilisées à ces interdépendances, mais il est souhaitable qu’une agence dédiée soit créée pour gérer cette thématique, où considérations locales et globales sont en étroite dépendance.

L’Autoroute de la Pluie s’affaire à médiatiser ce sujet, à marteler l’importance de la photosynthèse pour éviter les sécheresses. Nous souhaitons participer à déployer des corridors végétaux à large échelle pour renforcer les réseaux de recyclage de l’humidité atmosphérique.

Pour cela, nous avons besoin de toutes les forces vives. Pensez-vous qu’une telle approche, profondément proactive et positive, peut voir le jour rapidement ?

Amélioration de la disponibilité en eau grâce au boisement

📖🌳 Une étude parue en janvier 2024 s’intéresse à la manière dont le boisement permettrait de soutenir la dynamique des pluies. 🌳🌧️

Les scientifiques prennent de plus en plus en compte l’impact de la végétation sur la disponibilité en eau et l’étude “Targeted rainfall enhancement as an objective of forestation” dresse un panorama de ces recherches.

Les auteurs, Arie Staa, Jolanda Theeuwen, @Nico Wunderling, @Lan Wang-Erlandsson et Stefan Dekker, sont pour la plupart en poste aux Pays-Bas, un pays en pointe dans la compréhension des interactions entre végétation et précipitations. Ces capacités néerlandaises en génie écologique s’expliquent probablement par l’histoire de ce pays qui s’est construit largement sur la mer.

Les chercheurs développent le concept prometteur de “TRE” pour “targeted rainfall enhancement” (“amélioration ciblée des précipitations”), précisant qu’ils vont “plus loin que la littérature existante en arguant que – en plus d’autres considérations telles que les effets sur la biodiversité – il commence à devenir possible de prendre délibérément en compte les effets non locaux, spatialement explicites, du reboisement sur les précipitations dans la priorisation holistique du reboisement. et les évaluations de la vulnérabilité au changement climatique à l’échelle mondiale.” 

Cette position fait écho à notre approche. Nous espérons d’ailleurs faire caisse de résonance sur ce sujet, pour que décideurs politiques et économiques prennent en compte la biosphère et cessent de penser qu’on peut compenser à court terme en plantant ici ce qu’on rase par là.

Plusieurs grands enseignements ressortent de cette étude exhaustive.

🌧️ Un suivi des réseaux de recyclage de l’humidité est nécessaire pour comprendre la complexité du cycle de l’eau, notamment la condensation. Il est rendu possible par les améliorations récentes du suivi de l’humidité atmosphérique à des échelles fines.

🌳 La plantation d’arbres peut être utilisée pour améliorer les précipitations locales, en plus de son impact à l’échelle non locale

🌿 Des corrélations positives ont été mises en lumière entre l’indice de surface foliaire cumulé (LAI) et précipitations

🌍 Le verdissement récent constaté sur la surface terrestre a déjà entraîné une légère augmentation annuelle de l’apport en eau (voir l’étude)

🏞️ L’augmentation massive des forêts ne doit pas se faire au détriment des écosystèmes indigènes qui fonctionnent, tels que les prairies naturelles et les zones humides

Enfin, et surtout, un ciblage des régions du globe les plus propices à ce type de projet est proposé : le sud et l’ouest de l’Amazonie, le Mexique, l’est de la Chine et l’Europe méditerranéenne.

La zone que cible prioritairement l’Autoroute de la Pluie se situe à la confluence de deux réservoirs importants d’humidité, l’océan Atlantique et la mer Méditerranée. Elle offre donc un potentiel important pour renforcer les réseaux de recyclage de l’humidité atmosphérique. Cela constitue donc une base stratégique avant d’étendre lesdits réseaux en Europe et sur la rive Sud de la Méditerranée.

Agroécologie, la Suisse n’en fait pas tout un fromage

Dans une conférence sur la compaction donnée en décembre 2023 au Centre National d’agroécologie, Lionel Mesnage ne tarissait pas d’éloges sur l’avance de la Suisse en matière de pratiques agricoles. Encore une fois et sans surprise, cela est lié à quelques décisions politiques judicieuses, prises au bon moment.

Dans les années 80 les États décident, au travers de l’OMC, de l’ouverture des marchés agricoles. Cette ouverture se fait principalement au profit des agricultures européennes et américaines, largement subventionnées. Au même moment, la Nouvelle-Zélande prend le contrepied avec l’abolition totale des subventions en 1984, dans le cadre des réformes de la Rogernomics, accompagnée d’une déréglementation quasi totale et d’un coût social exorbitant (When the Farm Gates Opened: The impact of Rogernomics on rural New Zealand Broché – Neal Wallace).

Il faut attendre 1992 et le Sommet de la Terre de Rio, pour qu’un large consensus émerge sur la nécessité de soutenir financièrement les agriculteurs en anticipation de la baisse des prix agricoles dans des marchés libéralisés. 

Si, dans l’Union Européenne cela conforte la PAC, la très protectionniste Suisse prend un chemin un peu différent. Contrainte par l’OMC d’ouvrir ses marchés, la Suisse abandonne la politique de “subventionnement et de prise en charge garantie de la production” et décide d’établir sa politique agricole autour de trois objectifs : 

🧀 produire durablement 

🦋 entretenir le paysage rural

🇨🇭 occuper tout le territoire

Cela se concrétise par des paiements soumis à la réalisation des Prestations Écologiques Requises (PER) [voir agripedia et voir Office fédéral suisse de l’agriculture] qui comporte une quinzaine d’exigences  mais aussi par le financement de la formation, de la recherche participative, et de projets ciblés. Mais c’est surtout, la constitution de réseaux écologiques et paysagers sur de petits territoires qu’il faut retenir. 

Car, au-delà des points techniques, ce qui permet à la Suisse d’avancer bien plus vite que ses grands voisins dans le cadre de l’agroécologie, c’est sans doute l’échelle à laquelle sont prises et appliquées les décisions.

Illustration tirée de l’album “Les douze travaux d’Astérix”, l’enfer administratif de la maison qui rend fou, illustre bien la complexité de la PAC européenne en regard des 20 pages du PER Suisse.

Comment le boisement génère des nuages

🌲🌳 L’augmentation du boisement augmenterait sensiblement la couverture nuageuse de basse altitude, ce qui pourrait aider à refroidir la planète.☁️🌧️

Selon les résultats d’une étude, “pour 67 % des zones échantillonnées à travers le monde, le reboisement augmenterait la couverture nuageuse de basse altitude”, ce qui aurait des conséquences positives sur le cycle hydrologique et le climat.

Parue en 2021, l’étude “Revealing the widespread potential of forests to increase low level cloud cover” menée par Grégory Duveiller, Federico Filipponi, Andrej Ceglar et al. se base sur des observations de télédétection par satellite. Cette méthode vient compléter utilement les modèles climatiques, qui ne parviennent pas toujours à restituer la complexité des interactions terre-atmosphère, notamment pour comprendre la formation des nuages.

Selon les chercheurs, “les recherches suggèrent que, grâce à une rétroaction entre la génération des nuages ​​et son effet ultérieur sur le rayonnement entrant, les forêts ont tendance à favoriser l’établissement d’un équilibre entre les tendances de la température et de l’humidité, garantissant ainsi la pérennité de ces conditions de formation des nuages.” 

Dit autrement, les espaces forestiers créent et auto-entretiennent les conditions favorables à un ennuagement conséquent (voir notamment pour le lien entre climat et nuage notre post sur la répartition des nuages sur terre).
D’autres résultats de l’étude sont particulièrement instructifs :

➡️Les boisements ont tendance à augmenter davantage la couverture nuageuse d’une région durant sa période la plus chaude. Compte tenu des conditions extrêmes que nous vivons désormais l’été, ceci doit retenir l’attention de tous.

➡️ Moins intuitif: certains types de forêts de conifères auraient des effets plus importants sur la formation de nuage de basse altitude, ce qui viendrait contrebalancer une évapotranspiration plus faible que celle des feuillus. Les recherches sur ce sujet continuent et promettent des résultats passionnants.

Adoptant une attitude volontariste, les chercheurs appellent à ce que ces résultats soient utilisés par les décideurs politiques afin de concevoir et déployer d’ambitieuses politiques d’atténuation grâce à des solutions fondées sur la nature.

Ce dernier point fait tout particulièrement écho au projet de l’Autoroute de la Pluie. En effet, il est urgent de déployer partout où cela est possible des projets basés sur les services écosystémiques. Et comme il est nécessaire de conserver des terres cultivées, le déploiement à grande échelle de l’agroforesterie est vital pour protéger les sols et atténuer les extrêmes climatiques.

On a coutume de dire que le climat fait la plante mais ne devons-nous pas prendre l’habitude de dire que la plante fait le climat?

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